Gloria /

Qu’est ce que je ferai quand je serai couchée sur ce lit, en pleurs, les traits froissés, triste d’être devenue ce que je refusais d’être. Une femme fatiguée, ridée, usée, abandonnée. Qu’est ce que je ferai parce que ta vie aura alors plus d’importance que la mienne, que la nécessité de survie aura sauté une génération, est ce que ton père aura encore de la compassion pour ma pauvreté ? Est-ce que mon père aura encore de la tendresse pour son enfant ? Est-ce que si je te prenais dans mes bras après avoir pleuré, tu me remplirais et me pardonnerais d’être si mal ce que je redoutais d’être ? une adulte bancale, une mère faillible. Une humaine comme toi.

J’ai si longtemps rêvé de cette autre époque. Le moment de « quand je serai grande » d’ombres incroyables sous les cerisiers, de robes blanches en Normandie, sous un soleil éternel, un ciel en fusion. Un bébé toujours heureux, une maman épanouie. Et puis il a fallu ajouter à ce théâtre un père, y rajouter la réalité, partager mon plaisir, le désir égoïste de plaisir égaré. Tout à coup nous n’étions plus deux toi et moi, toi et mon regard de toi, nous étions trois. Miroir de nous, mon miroir de lui.

Après ce rêve des années de la jeunesse est venue l’idée de la famille. Ce fantasme de quotidien m’est apparu lors d’une relation que j’entretenais avec un homme plus âgé, papa d’une petite fille de deux ans et demi. Je me suis imaginée vivre avec elle, les mercredis pâte à sel et les dimanches cerf-volants, les soirs musique pour enfants et les câlins des jours qui pleuvent.

Ce temps de la pré-maturité a duré jusque hier.

Hier je pensais à Varsovie, à la lettre d’expulsion de mon propriétaire, à ce nouveau garçon que je viens de rencontrer et qui ne me donne pas envie de te fabriquer. Les routes, longues qui s’envolent entre Mexico, Reykjavík, Berlin, Bruxelles, Lisbonne. Et quand l’Alberta ? et Perth ? Je dois aller voir Gwenn à New-York. Dans quoi puis-je te caser ? quelque part en dessous de la gorge ? parce que t’imaginer me fait pleurer ? dans le bas-ventre , dans mes envies de sexe ? dans mon désir de maternité ? dans une ligne de mon journal ?

Est-ce que je serai capable un jour de te laisser prendre une place que je n’avais jamais imaginé ? Björk a dit dans une interview, qu’avoir un enfant n’est pas une contrainte mais un défi et c’est pourquoi elle a si bien tourné avec son fils quand elle était dans les Sugarcubes.

Est-ce qu’on apprend à être mère ? en fait, est-ce qu’on apprend à être adulte et responsable ?

Tu n’es pas là et je t’en veux déjà de rendre mes choix de vie plus raisonnables, de m’ôter mon droit à être pauvre, à vivre de rien, à être bourrée, à être sotte, enfantine, libre de tout, peur de rien et Dieu pour le reste du monde.

J’en veux déjà à mon amour pour toi d’avoir peur de la Mort pour la tienne comme je l’ai eu pour mes parents. Parce que la nécessité saute une génération.

Mais tu n’es pas là, tu ne viendras jamais, je l’ai appris ce matin, dans le cabinet d’un médecin inconnu. J’ai regardé aussi loin que je pouvais au-delà de la baie vitrée qui tendait vers la cathédrale. Je t’ai regardé partir longtemps, aussi loin que le regard peut porter.

2 réflexions sur « Gloria / »

  1. J’aime beaucoup ton texte, il est vraiment joli 🙂
    (par contre j’ai relevé une faute: « Ce fantasme de quotidien m’est apparu », plutôt 🙂 )

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