Romances /

Extrait du texte paru dans le numéro de printemps de la revue Cavale

/ Quant à toi

Ton jean est mouillé contre tes chevilles et sent le sexe rance de plusieurs jours sans te laver. Il n’y avait rien de gratis à gratter qu’une clope sans filtre que tu fumes debout devant cette supérette du Downtown Eastside. De temps en temps, des clients sortent et tu laisses la chaleur du magasin t’envelopper quelques secondes, le regard fuyant. Tes yeux se portent sur le tourniquet à journaux et les faits div’ sont à chier.

Tu as échoué dans cette chambre d’une baise au rabais que tu as échangée contre une douche. Tu laves ton jean avec du détergent violet, une bouteille rouge griffée « Tide ». Et tu te demandes si cette marée peut tout effacer.

Mais déjà s’éloignent, dans les miroirs éclatés, les nuages changeants de ton présent dévasté. Nulle part pour cacher les courbes de ton corps, nulle lumière pour t’épargner.

Ce type pue la médiocrité mais te regarde avec mépris.

Tu jettes ta clope et lui crache au visage.

Tu n’es pas encore morte.

Intégralité des cinq portraits dans le numéro 16 de Cavale ICI

La moto /

Extrait du texte paru dans le numéro de printemps de la revue Point de Chute

Des forêts gothiques de nos contes enfouis
Que reste-t-il ?
Des routes qui caracolent émues fragiles
Que reste-t-il ?
Les territoires se dévastent et font fuite
aux limites du possible.
Alors la canopée abrite nos réalités éblouies et
le littoral caracole
ému fragile.

Je ne crois pas que j’aurais repensé à ta moto
si l’air n’avait pas fraîchi pendant la nuit.
Si de sa bouche humide n’était pas sortie cette petite pluie,
si je n’avais pu prêter attention à Lui qui
coupait des tomates
les tomates sur la planche, les yeux de Jorge
tournés vers ce trésor si soudain.

Où sont passées les forêts ?
Le silence de mon père dans l’auto ronronnante.
Les kilomètres de mon père.
Les enfants apaisées.
Petites et muettes et
les paysages riverains où l’on ne s’arrête pas.
Remontent à loin les souvenirs,
les rides qui se creusent la nuit.
Où sont les forêts dit-elle.
Où sont.

suite du texte dans le numéro 6 de Point de Chute ICI

Ruina Montium /

Extrait du texte paru dans le numéro de cet hiver de la revue Revu

Les coups se succèdent dans ses entrailles mais la montagne reste sourde et noire et noires les oliveraies et les arrachements de la terre les mouvements du cosmos et les lectures élégiaques de leurs destins en fuite j’ai cherché bien avant le matin la silhouette de Vierge de mes sœurs mais ne sont restés dans la pupille que les satellites de leurs industries et des sédiments dans mes mains

Des creusées aurifères que reste-t-il ma mère que reste-t-il des engouffrements et l’eau à pâlir des sources des paysages riverains où l’on se s’arrête pas dans la pâleur de ces eaux et de mes os en ruine ce qui s’est engouffré dedans mon ventre et mes côtes éclatées déversant de mes viscères le sang vert de mes colères et les pépites du cœur d’une mine qui n’a plus rien à donner

(…)

Suite du texte dans le numéro l’Autre Paysage de la revue Revu disponible ICI

Le Tombeau de Sagazan /

Extrait du texte paru dans le numéro de cet hiver de la revue Dissonances

Il te faudra faire.

S’extraire de la vase que les quatre temps empêchent. Se débarrasser de l’écorce et garder l’essence de nous-mêmes à laquelle je mettrai le feu. Que dit l’ombre du Milieu du ciel à la femme affamée qui l’ignore ? Des astres mutables tu as l’ascendant de la terre et tu n’as pas converti ton regard. La superficialité des choses recouvre ta voix de shellac et meurent les alvéoles empoussiérées de tes poumons laqués. J’arpente les longs couloirs à l’odeur de chlore et tout, derrière la transparence des céladons de Chine, a le goût de l’éventé. La défiguration du ciel m’emmène dans des bassesses inconnues de tous. L’effluve rassurante d’urine des rames de métro, les maisons aux coins de pierre, les jambes bronzées à l’artifice s’enfonçant dans la mousse du bain douche. La main à la jouissance. L’exclusion contre toute attente des satellites que l’on voudrait voir fonctionner. Tant pis pour le laurel sulfate agressif des cosmétiques de grandes surfaces, l’eau calcaire du canal, s’endormir avant de se coucher. Dans ma propre agonie je médite un bardo mal appris et désespéré et tu en répètes les mots sans les comprendre. Douze heures volées à la lisière de la Ville, surtout pas trop à l’ouest vers ton remords partout flagrant. Dans ce moment d’immobilité se dessine l’au-delà. Même pas électrique. Juste une ambiance calme et douce de fin du monde. Au cinq août parler aux feux de l’Atlantique qu’aucune eau ne calme et au dernier étage derrière le filtre trois de la galerie quatre je vois la Grand’Ville irradiée par le soleil d’août contre la clim de mon étage. Je ne reconnais rien. Il y a alors plus de blanc que de gris dans la Grand’Ville quoi qu’on en dise. Je suis dans une autre ville épargnée de toi. Que voit-on quand on regarde le monde. Celleux qui se désignent ne se regardent pas. Une femme referme sa fenêtre. Derrière, du linge qui sèche en plein soleil d’août et finira délavé. Tu as pris un sexe dont tu te crois étranger, mais je ferai jaillir de la glaise de mon visage la croix affamée des chairs destituées et des baisers de la gloire. Écoute cette matière avant qu’elle ne soit inerte. Car.

(…)

  • Dans la musique occidentale savante, le tombeau est un genre musical composé en hommage à un personnage que l’on admire, vivant ou mort. Olivier de Sagazan est un artiste plasticien et performeur contemporain.

Suite du texte dans le numéro Trans- de la revue Dissonances disponible ICI

Journal à publication aléatoire

Octobre /

Il est minuit. Très exactement. J’ai pris un plaisir enfantin, égotique à raconter à ma fidèle P le récit de cette journée extraordinaire. Je suis enroulée dans un plaid en 100% lambswool cadeau d’entreprise si j’en crois le « Alcatel » brodé près de l’ourlet. Trouvé au grenier et lavé trois fois par précaution, sa couleur est celle de mon chien et je le partage d’ailleurs avec lui surtout au matin quand le plaid est tombé à bas du lit et que Jorge vient chercher le soleil plein est. (…)
Mon ami me demandait l’état de mes colères et me glissait avec la sagesse de celui qui les a bien connues que la terre pourrait me faire du bien. Alors j’ai remonté la rocaille en pierre de taille, désouché l’hortensia mort et planté à la place un abelia sherwood. Pour sa couleur comme mes cheveux, ses fleurs délicates et odorantes et surtout sa capacité à encaisser la canicule et le -15. Je m’étonne toujours de la résilience des plantes quand je ne survis plus à une semaine de silence. (…)
Comme le soleil donne ses dernières calories j’ai biné le potager. J’ai préféré dire labourer, assassinant sciemment mes mains que l’arthrite torture depuis des semaines. Tant pis pour demain, ne m’importe qu’aujourd’hui et que le travail soit fait. J’en perd connaissance et ne m’en remet que dans la sombritude de l’écurie que les chauves-souris ont fini par déserter. Et j’ai honte alors de nous avoir déclaré « refuge » car de toute évidence, je ne peux rien garder. (…)
Je suis celle qui enlève les araignées, alors je prend bâton et balayette. Mais je ne me résous plus à les virer dans le froid. Après tout, entre mes quatre murs et dans mes mains, ce sont bien les seules à vouloir rester.

Ça fait deux jours que je quitte à peine le lit. Me levant pour une chicorée, me recouchant pour la sieste du matin qui précède la sieste de l’après midi à peine entrecoupée d’une salade fade. Parce que j’ai des absences qui me transpercent et contre lesquelles je ne peux rien qu’attendre un peu de bleu remplaçant le gris.
J’ai remué mes os froids pour finir de vernir la table de cuisine et affronter la faune du b1 pour de la crème, j’avais promis à E un gratin de blettes. Je me suis embrouillé avec un vieux, bien trop fort au vu de l’outrage subit, mais je ne supporte plus la proximité de mes semblables. Peut-être justement parce que certaines absences me foudroient. La table est trop brillante. Je n’ai jamais aimé le vernis artificiel des choses. Vivre ma vie sur du papier de verre.

J’ai trouvé un fossile dans mon jardin et par un réflexe tout humain, j’ai voulu l’arracher à la roche mère. Mon amie m’a dit « peut être avec les bons outils » mais j’ai les bons outils. J’ai toujours eu les bons outils. Les outils ne m’ont jamais fait défaut. J’ai depuis la toute petite enfance la capacité à évaluer avec précision le monde et moi-même et c’est ainsi que je peux dire avec conviction que tout est voué à l’échec. Elle me dit biais cognitif, je répond réalisme. Trouver la latitude de vivre avec cette vérité.
(…)
Je bois mon café en cachette de mon corps. Je bois énormément de café depuis que je suis ici. Avant j’étais une « fille thé » probablement parce que je ne voulais pas rajouter à la lourdeur de mon corps et de mon caractère en étant la fille café clope. Dédaignant par snobisme le goût vulgaire du café, les ongles très longs, la boisson d’adulte. Et pourtant le tabac me manque et la lourdeur de certaines choses aussi. Le poids de corps sur le mien. Celui des femmes principalement. Le trésor des conques.
J’ai écrit à L pour la première fois, j’en avais aussi le manque avant même que de le savoir. Ici le temps et les matières s’organisent différemment et certains messages fast-food numériques ont fini de me mal nourrir. Je me retiens d’écrire à S, je lui ai promis le temps long, je l’approche comme Séresta que j’essaie d’apprivoiser à coup de croquettes bios. Avec prudence. Il ne faut pas cramer le désir des débuts d’histoires.
(…)
J’ai trouvé dans l’écurie où je suis rentrée à petits pas pour ne pas déranger les chauves souris, un seau plein d’œufs de couleuvres. J’en ai gardé l’association libre pour mon psy que je consulte encore à distance, comme mon astrologue, comme mon père. Je me souviens de cette collection de timbres proverbes par Emmanuelle Houdart. C’était avec une cruauté choisie que j’en assortissais mes lettres de rupture. « prendre le taureau par les cornes, » avaler des couleuvres », « donner de la confiture aux cochons ».

Au cœur du fossile cassé, une géode de quartz. Je continue de boire mon café en observant les moindres nuances du cristal que je dépoussière avec le gras de mon pouce. Je le recolle à la néoprène que j’ai volé à Weldom et relance pour dix millions d’année le cœur sacré des mausolées de pierre. P Lus personne ne verra ces cristaux. Je ferme les yeux sur ma maison et la porte blindée de mon cœur.

Depuis la pluie la maison m’est devenue étrangère. Depuis la pluie je n’ose plus utiliser le possessif et je ne suis qu’en terrain inhospitalier. Les livres sont un repoussoir, les nuits un réclusoir. J’ameuble la terre encore infertile en espérant de n’être pas tant gauche que je gâcherais la fête des indigènes. Depuis la pluie des silences dans l’espace vert et je vois bien comme la vie d’avant part par pans entiers. P reste la colle de mes jours de déglingue et ses bijoux sont le kintsugi de mon corps atomisé.
(…)
Je n’ose l’appeler mienne tant le possessif est instable en ce moment, mais le surgissement de la petite chatte au détour d’un mur est une des toutes petites réjouissances qui donnent l’heure de la journée. Au super u, acheté un pavé de saumon pour la première fois en 20ans. Regard effaré et muet de E. Je n’ai pas osé lui avouer que c’était pour la toute petite. Il ne m’en a pas pardonné l’odeur dans la maison et Séresta a dédaigné la peau et le gras cuit au beurre.
Comment fais-je pour constamment me planter sur les gens.

Il n’y a plus d’hirondelles. Elles sont parties un matin il paraît pendant que j’étais au téléphone et que je terminais ma pinte de café (-4,2 sur l’indice Pral). Je n’aurai pas de rendez-vous avant mai 2023. Comme si mon ventre pouvait tenir jusque là. Il devient urgent d’arrêter le café. Et tout le reste aussi je suppose. La jalousie, la paranoïa, la colère, les cris, la vaisselle cassée, l’angoisse, les larmes. À dérouler cette lasagne mentale j’hésite à me reconnaître quelques qualités et comme on me racle l’ego comme le nocciolata un soir de fatigue je n’ose plus m’exprimer sur mon excuse à vivre.  On n’existe pas sur les rayonnages sans un tant soi peu d’amour propre. Quand a-t’on décidé que c’était un gros mot ?
Je suis une co**asse avide oui. Je voudrais juste que les autres reconnaissent que eux aussi.
(…)
Les insomnies m’ont épargné ici le temps du camping. Quand les livres ont commencé à prendre la poussière, les habitudes nocturnes se sont à nouveau glissées dans mes draps.
(…)
J’ai trouvé au fond de l’écurie, sous 3kg de fiente de chauve souris, un bureau bauhaus qui me prend mon temps et mes mains à retaper. Je me demande combien je pourrais en tirer et mes réflexes de pauvre à toujours remettre à neuf pour les autres et ne jamais pouvoir garder pour moi le joli m’attristent.

Depuis la maison je me repique d’électricité. Vouloir faire revivre les heures joyeuses de la Belgique alors c’est émue que j’ai jeté dans le tas de déchet’ « the radio amateur’s handbook 1977 » en me rappelant le nom de mon école que je ne me souviens pas d’avoir jamais écrit autrement que par son acronyme « institut de radio électricité et de cinématographie ». Le temps de la télé cathodique, du canon à électrons et des sujets en BETASP. Le cinéma parce que quelques films exhumés d’un disque dur et le moulin d’Andé qui sonnent comme des vieux tubes de l’été. Mais je suis issue d’une génération que les mises à jour ont écrasé. Mes connaissances comme mon talent cinématographique sont obsolètes et n’intéressent plus qu’une poignée de personnes avec qui je partage trop de fluides pour que cela soit honnête.

Je n’ai pas écrit à mon producteur depuis avril.

J’ai pris un gros calibre 15, j’ai enlevé mes Birkenstock et j’ai tiré en plein dans les métatarses. Être bien bien sûre de ne jamais marquer de points sur l’échiquier de l’accomplissement.
(…)
J’ai enfin trouvé le livre de Paul Géraldy que je voulais mais une préface de Jane Birkin fini de me le gâcher et me coupe jusqu’à l’envie de l’ouvrir. Je ne comprend plus rien à la hiérarchie du Beau et aux mécaniques de pouvoir. Je range mes outils et j’arrache la prise de la lampe. Il faudra bien que j’y mette un interrupteur.

J’aime les femmes pour leur beauté, parce qu’elle m’émeut, j’aime mes amies aussi pour ça, pour cette beauté gratuite dont je profite juste à leur contact. Je n’ai jamais regardé les hommes de cette façon.
Je crois.
Avec eux.
C’est un rapport de force.
D’étude.
L’altérité me fascine trop pour que je baisse totalement les bras face à la fatigue de dingue que j’éprouve à leur contact mais que sont-ils donc si ce n’est des béliers puants et sans tact. Je n’ai jamais caché le peu de respect que j’ai pour eux et je regrette certaines orientations que j’aurais pu choisir plus radicales si ça n’était ma paresse. Mon fossile a une forme de corne et surgit en moi quelque psychologie de comptoir instagramesque. Les béliers que j’attire autour de moi depuis quelques années pour le meilleur comme pour le pire. Qu’est ce que la vierge a apprendre d’eux. Il faut croire que je ne me lasse pas des astres et des désastres. Mais ces pensées ont la clarté d’un zinc en fin de soirée et je préfère javelliser ce qu’il en reste.

À Vézelay à la boutique monastique j’ai acheté du vin de noix et de l’essence de nard. Le parfum du cantique des cantiques se mélangeait à l’odeur de feu de bois des cheminées et du crachin bourguignon qui préfigure déjà, avant l’heure de fermeture des échoppes, la couleur de l’hors saison. Mon cadeau d’anniversaire fleurant bon le cuir frais, son cadeau à lui la douceur de la peau de l’agneau et quelque chose de l’ordre du colmatage de l’usure quotidienne. On laisse aller dans la dépense de km inutiles les frustrations qu’on ne prononce même plus. Le prix de l’essence fluctue, lui aussi nous avons appris à l’ignorer.
Le Christ en acceptant de recevoir l’onction de Marie-Madeleine : « d’avance elle a parfumé mon corps pour la sépulture ».

Je lis des vies des autres avec un mal de crâne qui ne cesse de me tourmenter comme on en tourmentait d’autres au moyen âge. La faute à mon nouveau régime Lagerfeld et aux médicaments que j’avale allègrement par poignées. Autant de culpabilité que dans mes verres de coca zéro n’en déplaise à mon prescripteur. Me défoncer aux frais de la sécu est un luxe dont je ne me lasse pas. J’ai pris bien assez cher pour ne pas mériter d’anesthésier ce qui se passe en dedans. La journée manquait de saveur jusqu’à cette bière rousse du Aldi, un pesto torché et ce nouveau disque de Björk qui ne cessera, elle, de me sauver de tout. L’envie brûlante que je partage avec P de partir à Vegas dans des robes en peau de licorne qui valent bien 50m2 d’isolant. Et je regarde Rachel Maksy faire une robe en papier bulle. Mes robes de mariée ont habité mon imaginaire et les cartons de dessous le lit. Et comme officialiser ce que les plages lettones avaient offert ne m’intéresse plus, il me reste la dernière. Sobre. Achetée en 10min à la dernière démarque de COS. Celle d’une quarantenaire que le blanc ne flatte plus et qui lui préfère le bleu marine pudique des mariages à la mairie sous sein privé.
(…)
Je finis de débarrasser l’écurie et ne sourcille plus à côté des vieux tégénaires graciles et dociles. Il y a donc bien quelques hommes que je ne fais plus fuir.
(…)
La nuit frôle le zéro absolu. Je regarde Séresta, toute petite dormir sur la pierre gelée de la rocaille. Elle reste loin de moi. Je prend un nurofen.

Le week-end parisien a passé. Dans une immensité de ville avec trop d’absences et certains pleins qui étouffent. Les nuits rebondissantes de réveils, une terreur qui engloutie toute raison. Cette petite fille pendue dont les jambes qui se balancent heurtent mon dos sans que je puisse bouger. À ses pieds les mary-jane blanches à bout fleuris dans lesquelles ma mère glissaient mes semelles orthopédiques. Toujours eu du mal à avancer. Pendue. Inutile. Morte(…)
Au salon, après la lecture, NLG est venu me voir et m’a dit ces mots que H avait prononcé une fois dans l’intimité des textes. Et contre toute attente, contre toute ma retenue germanique, contre tous les filtres sociaux, ma répartie et ma vanité, je me suis mise à pleurer. Il en a été gêné, ému et à répéter encore et encore cette même phrase, pour qu’elle reste, dans les départs répétés des autres qui m’abandonnent. M me dit en sortant « note-le. Note-le pour pas oublier quand tu redeviendras conne ».

Un de mes textes a été refusé aujourd’hui. Un texte que je voulais particulièrement voir vivre, pour l’énergie d’acharnée que j’y ai mis, pour le moi moi et encore moi du sujet. Pour une fois aucune aigreur ne m’a saisi ni l’artiste incomprise ni le mauvais goût supposé juste la pleine impression totale d’être une sous-merde et que rien n’y fera, l’échec sera éternel. Car une seule absence et je ne suis que contours et plus rien dans ma vie n’a d’épaisseur.
Ici on ne parle pas de refus, nous postons avec une pudeur feinte qui caresse nos egos le temps d’une story nos petites publications et nos reconnaissances à la stratégie bien marketée. La poésie a de la décoration intérieure la couleur des enduits à la mode et je me refuse à faire de la « poésie-touche entrée » de ça non plus on ne parle pas. Du peu d’estime qu’on a pour beaucoup et on se congratule la bouche pincée car, comme dans tout, la vie se danse en ronds de jambes. De ça non plus on ne parle pas car la jalousie est un habit pauvre. J’assume ma part de cruauté, la salope la mal baisée l’inconnue qui restera dans le ruisseau la sale race la manouche jeteuse de sort et si je n’ai du sang gitan du grand père que le roux que je peine à faire vrai et les malédictions, je me répand sur le sol, incapable de me réjouir de leur bonheur et pourtant incapable de le maudire. Je reste un contour sur  la terre dans l’anonymat crasse des « pas à la mode ».

Tricoter m’a toujours été bénéfique. Déjà car ce savoir était un cadeau de ma sœur et que, même si l’analogie est facile, tricoter un fil solitaire pour le trouver plus que la somme des parties en fait une de mes gloires ménagères. J’ai découvert la semaine de mes 41 ans (conjointement au maniement du burineur sur ciment projeté) que l’arthrite m’avait touché et qu’il allait me falloir faire affaire avec elle. Je passe en revue les DIY de pinterest et dois me résoudre à ne garder que la quintessence du beau, du valable. Je garde ce silk mohair gris perle pour le modèle capsule de Ruke et le cachemire lie de vin. Si J et moi nous reparlons un jour, je lui offrirai l’angora de la mère.
C’est ça pour moi faire le tri. Préserver les trésors, se débarrasser de tout le reste. Mes mains seront assez fortes pour garder ce qui est précieux et laisser partir la beauté.

Il n’y a pas grand chose à dire de la vie à Strasbourg. Strasbourg ne m’a jamais porté chance. Elle me fait me traîner dans un désordre sale. Celui de mon appartement que je peine à mettre en carton. Je passe mes journées à écouter des séries dont j’oublie instantanément les scénarios et je vis beaucoup dans ma tête. La maison ne me manque plus mais la rue du Ciel m’écœure. Cette sale impression d’être dans un train à l’arrêt entre deux villes. Je culpabilise parce que je ne fous rien et j’écrivais à S « il faudrait que je me débarrasse de tout, l’âge n’est plus aux accomplissements mais aux renoncements ». Trop de livres que je ne lirai pas, des films que je n’écrirai plus, des instruments dont je n’ai jamais su jouer, des tapuscrits tellement délavés que j’en ai oublié l’histoire. Je pense qu’on y gagnerait à se foutre la paix sur « les rêves ». Mais comme il paraît que l’ego m’étouffe, je peine à mettre cet encombrement en cartons et l’heure d’hiver m’amène la nuit encore plus vite. Je me suis rendue compte que cela fait 38 ans que sur une échelle de 1 à 10 de bonheur j’étais à 3. Il paraît qu’en dessous de 7 c’est anormal. Je ne sais pas quoi faire de ça tant il me semblait à moi que vu la vie, 3 c’était normal et qu’il n’y a pas grand chose à en dire.

Les hommes /

« Robert est un con » extrait de la série « Dix bons points une image » par Eric Lefortson

J’ai peu fréquenté les hommes des Yvelines. 
Le premier. 
Le dernier. L’œil pâle et la main tendre qu’épargnaient et le travail des champs et les manucures de la Défense. La bourgeoisie suintante de Maurepas et les peignes-culs du Bois D’Arcy.
 » Bailly c’est à côté de Plaisir ? c’est là où va ta mère pour le bio non ? « 
 » Oui enfin faut prendre la voiture, ou le train, sinon y’a bien des bus, dépend d’où tu viens »
Et s’égrènent ces paysages riverains où je n’avais jamais envie de m’arrêter. Deux stations après Trappes dans le train de Versailles Chantier. Refusant de salir mon Montparnasse pour ta banlieue désenchantée, je me poussais jusqu’à la Défense, oubliant de saluer les cousins de Courbevoie et abrégeant au mieux les déjà trop longues 53 minutes du toutes gares qui me menait la mort dans l’âme chez ta mère. 

J’ai tapé des deux pieds, capricieuse, car de cette incontinence parisienne je n’avais envie que du château de Louveciennes et la maison de Neauphle bien sûr. « ma du Barry » m’appelais-tu alors, trop grosse et habillée comme une pute pour ta famille de centre droit. Je n’ai jamais vu Louveciennes mais un 17 septembre tu as accepté de m’immortaliser devant la grille de Neauphle et que j’en pleure un peu d’émotion pour la forme. Je n’avais pas perdu la grandeur intra-muros d’Alésia pour rien. 

Tu as écrit sur ce territoire maudit. Tu en as fait une série photographique âpre et bouleversante pour qui sait encore lire la photographie. Ta loyauté incompréhensible pour « la coulée verte » pâle ersatz de la beauté instagrammable de la Vraie du 13ème. Ce terrain vague à peine vert qui déprime jusqu’aux plus grandes volontés d’amusement de Jorge. Les friches abolies de béton. Cinquante ans dans un placard de un mètre sur un mètre, les plates bandes mitées et les géraniums bouffés aux pucerons. 

J’arrivais des plaines glorieuses de l’Est et les forêts sombres qui exigeaient leur franchissement au col de Saverne forçant le respect des berlines allemandes me donnaient, je le croyais, une autorité sur les épreuves de la vie qui désertait les visages pâles d’alors.

Aux coups de la mère répondaient pourtant les coups du père, le bras et le nez cassé des enfants aux yeux clairs et la ceinture, qui toi ne t’a jamais fait bander, pour t’entendre chialer comme une fille. Alors puisqu’il ne connaissait pas d’autre vocabulaire ce brave que l’enfance de l’aîné irritait t’a plongé dans l’avarice. Des mots, de l’argent, des sentiments et surtout de tout ce qu’on ne disait pas. Je suis rentrée comme une génisse en fureur dans ce jeu de quille faisant péter les murs de papier aux jointures. Moi la romanichelle que le manque d’argent rendait insolente et précieuse.

Mais c’était sans compter sur ta résilience mon joli. Car dans ta jeunesse bafouée tu as plongé au cœur des chars d’assaut et d’armée d’élite en écoles de prestige tu as regagné les lettres classiques du patriarcat mal baisé.

Tu faisais enfin honneur au père. 

Ce « brave » dont nous découvrîmes très vite avec horreur que nous partagions et l’homonyme et l’attribut. Si peu de différences, de l’Indochine à l’Algérie de viols en vols en alcoolisme déguisé en blessure de guerre.

Tu as cassé consciencieusement chacun de tes membres sur des planches pour ne pas donner raisons aux radios de l’enfance dont les médecins de l’époque se foutaient bien. De la République tu ne conservas que la place à prendre et à genoux communié trois fois dans le sang des coudes, des crachats enrirés et de la masculinité fragile ton mépris de dieu, du père et de la monarchie.

Te reste dans les mains des fourmillements de violence que mes bras calment à peine et à mes théières brisées tu m’opposes des silences mutiques des poèmes fiévreusement consignés dans les Moleskine noirs et dont tu me refuses la lecture.
La censure de l’enfantement répondant à ma censure de l’enfantement.
La volonté d’être les derniers de nos races et que se perdent enfin nos noms. 

Reste
ta main que je peux prendre dans Paris l’épargnée, la douceur de châtaigne du Père-Lachaise et de ses morts. L’anonymat de nos amours de passage au printemps les rues à souvenirs et les livres en terrasse.

Pour celleux des Yvelines, plus de traces. Même plus de noms que l’on prononcerait tout bas autours d’un bibelot qui a perdu toute valeur. 

Reste
quelques post-it, des bouteilles de parfum au fond éventé et des signatures illisibles qui blanchissent dans les livrets de famille.

Non. Des hommes des Yvelines je n’en ai pas connu.

Le premier.

Le dernier. 

Impedimenta /

Ma vie s’arrête là dit-elle

Qu’avons-nous à fêter de nos existences craintives

Des désastres monolithes je garde la saveur amère de tes mains sèches oui les yeux du vague à nos âmes éblouies où es-tu demandé-je

Il faut écouter les vivants mais le marbre est pour les morts et si nous célébrons nos joies immortelles où sont tes mains sèches et la saveur de mon enfance mon père ?

Les nuages raclent nos pas en ce dimanche tranquille et tes pas absents se fondent dans la fin dans le silence d’une belle vie si soudaine leurs pas et leurs sales gueules fracassées qui me refusent et ne plus te voir mon père et décevoir ces familles hagardes que le hasard réuni par la misère qu’avons-nous à fêter me demandais-je qu’avons-nous à fêter de nos existences méfiantes


Éparse


Je cherche dans les pas des autres les nuages qui roulent hagards dans mes mains sèches cireuses et folles je cherche en vain

tes mains

Mon père.

Alors

Les cités se taisent un vent d’hiver fait courir quelques fleurs croustillantes sur les abords des murs

Les assiettes sont laissées au vagabond affamé au chat qu’on a eu honte d’enfermer et qui erre terreux et furieux brûlé de terreur face aux mains terreuses du vagabond qui tendent douces du bon ronron
Les voitures sont parties une à une sans klaxon sans lumières dans la honte d’après le repas du soir


Les cités se sont tues.


Les maisons sont restées ouvertes affolées d’être ainsi offertes aux animaux terreux dans les bagages rien d’utile on ne s’encombre que du futile du souvenir

Ils sont partis sans même essayer de mettre en vente

Partir pour laisser la mort derrière soi ces paysages riverains où l’on se s’arrête pas

Les villages se sont fermés et de longues colonnes de voitures honteuses se ménageaient des distances de sécurité

Et là dedans

Je cherche tes pas

Mon père

Et nos silences fous et les racines arrachées et les villages brûlés et les gueules noires oubliées qui crèvent une à une et brûlée jusqu’au cœur je me demande

Mais qu’avons-nous à fêter mon père de nos existences craintives

Je ferme la porte sur ta vie le ciel est bas et racle tes derniers pas.

Mon visage noir.

Die brücke /

Je remonte le couloir sombre, le parquet brûlant de mes pieds de tes doigts à ma bouche, brûlante
L’ombre d’une nuit qui entre dans des draps humides comme dans un été fragile, glisse
Et avec elle nos silences évidents, le désir tragique de tes reins à mes seins,
Où es-tu quand, comme un coureur sur des cailloux, en apnée, tu me rends le souffle ?
Où es-tu
Quand les matins m’incandescentent
Quand
Qu’en marchant de moi à toi les avenues ouvertes et fertiles caracolent les agneaux extatiques, libre et nos âges en dizaines fraîches nos rires à la petite semaine
Je ne fume plus, je ne bois plus, je ne fume je m’abreuve à la source et la lumière, vive

La place de l’automne dans notre quartier vole un peu rouge comme ma jupe rousse comme mes cheveux m’as-tu dit je compte les pavés nos années tranquilles les regards un peu plus loin au-delà de l’épaule les silences non consentis les hachures dans les mots doux les brûlures le temps a de l’ortie l’usure du papier de verre
Je caresse le bord velours de ton oreille devenue sourde
Où es-tu quand tu me détournes le regard sur le rebord de l’abîme
Où es-tu
Quand les soirs me désenchantent
Quand
Qu’en me couchant contre toi de ta distance à ma sécheresse les ruelles de nos horizons arides
Je ne parle plus, je ne te regarde plus, je ne parle je m’abîme dans les poussières d’hier

Je ferme la fenêtre sur cet hiver qui scintille

Je descend, les escaliers et au creux de notre quartier l’odeur métallique de ce matin, partie
Je descend, les arbres de notre printemps stérile, morgenglühen
le Rhin qui divise Cologne de toi loin de moi les lumières de la fête foraine plus tragiques nos ressentiments en cascade les armes au coin des yeux les insultes en recours
Où es-tu quand tu jouis du souvenir de moi
Où es-tu
Quand les caresses mal données dans l’avarice de nos années en fuite les enfants abattus
Quand
Qu’en fermant le rideau sur la porte le double des clefs les papiers à signer
Je ne dors plus, je n’ouvre plus les yeux, je ne dors je nous décante

Où es-tu quand j’approche pour la dernière fois de mes doigts à ton bras de ma bouche à ta bouche de notre désir aride de cette dernière minute les clefs sur la table où-es tu si je rentre ma langue dans ta langue et tes bras qui me serrent et me retiennent du bord de l’abîme le souffle à pleurer à courir sur des cailloux, cette dernière minute qui vole rouge de tes doigts de ta bouche à mes cheveux roux le velours des manteaux et notre usure et celle du papier de notre entrée
Où es-tu dans l’ombre de mon con la jouissance extatique les lumières de notre quartier lointain les enfants comme ils furent conçus ou ouvrant ce rideau cette dernière seconde
Letzes mal
Le mal de cette dernière seconde
Tu me vois et m’étreins contre le vide contre le temps contre mes mains qui s’envolent
Et je tiens cet oiseau et à genoux en une seconde en un soupir je crée un nid à cet oiseau à notre amour et notre lointain et tu m’étreins
Tu m’étreins

Tu m’étreins

Je m’éteins.